Décédé à 88 ans, le Professeur Honorat Aguessy fut le Directeur-Fondateur de l’IDEE, Ancien chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique à Paris, Ancien Directeur de la Recherche Scientifique et Technique au Bénin, Ancien Directeur du Programme UNESCO pour l’Afrique d’Enseignement Supérieur et de formation des personnels de l’Education, Doyen honoraire et fondateur de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines, Président du Centre d’Education à distance, Fondateur/Directeur du Laboratoire de Sociologie, Anthropologie et d’Etudes Africaines, Président de la commission nationale indépendante de mise en œuvre du MAEP (African Peer Review Mechanisme) et Président du Conseil Mondial du Panafricanisme. Parcourons l’une de ses interviews…
Hugues Hector ZOGO : Bonjour Professeur Honorat AGUESSY, vous êtes le Président du Conseil Mondial du Panafricanisme et Père Fondateur de l’Institut de Développement et d’Echanges Endogènes : deux grandes structures engagées pour la cause du Développement de L’Afrique. Le continent noir est riche de ses terres en grande partie cultivables et de ses ressources humaines. Et pourtant, elle peine à se développer, quels facteurs essentiels sont la cause de cette situation ?
Professeur Honorat AGUESSY : Merci, cher rédacteur en chef, d’aborder ce problème. C’est un enjeu capital pour l’Afrique à l’heure actuelle. Si nous ne comprenons pas cela, je ne crois pas que nous puissions aller de l’avant. À mon avis, l’origine du non-développement réside dans l’absence de compréhension des propos de Kwame Nkrumah, tenus le 24 mai 1963. En s’adressant à ses trente collègues, il a déclaré : « Si nous voulons chacun aller vers le développement, nous ne pourrons qu’échouer. Certains d’entre nous, qui ont essayé, ont été bloqués et ramenés, faut-il parler d’origine, au lieu de départ. » Il a souligné que lui-même, ainsi que d’autres cherchant un développement individuel, ne pourraient qu’échouer. Il est donc essentiel de rester ensemble.
Actuellement, c’est en unissant nos forces que nous pourrons développer l’Afrique. En effet, avant que nous ne prenions conscience de cette nécessité, les prédateurs étaient déjà à l’œuvre, bien préparés. Ceux qui pensent, en tant que Ghanéen, Togolais, Sénégalais, Guinéen, Malien ou Nigérian, qu’ils peuvent se développer seuls, se trompent. Les prédateurs étaient déjà là, bien équipés pour la prédation. Il est donc crucial de rester unis pour développer l’Afrique d’aujourd’hui.
Depuis des années des mouvements et associations se mettent en place pour redonner vie à l’Afrique, à partir de vos expériences il y a-t-il une nouvelle espérance à nourrir en l’Afrique ?
Ah, dès qu’on parle de l’Afrique, c’est plus l’espérance que l’espoir qui surgit. Je crois qu’il y a une nouvelle dynamique : nous constatons, notamment au niveau des médias – là où vous rayonnez – que tout ce qui était bloqué pour l’Afrique, c’est-à-dire les médias, la télévision, commence à changer. Nous voyons qu’« Afrique Médias » a su prendre les devants et, à travers l’approche des animateurs actuels face aux enjeux, nous ne pouvons que croire en notre réussite. L’essentiel est que, d’un territoire à l’autre, chacun sache comment suivre les émissions d’« Afrique Médias » et d’autres initiatives qui viendront renforcer ce qui est déjà fait au sein d’« Afrique Médias ».
Les politiques menées au niveau des micro-états ne répondent toujours pas aux défis actuels de l’Afrique d’où la nécessité de donner sens au panafricanisme dans les actions. Dans votre combat, les difficultés contemporaines vécues sur cette voie de sortie pour le continent africain sont-elles les mêmes que celles de l’époque de Kwamé N’krumah, Marcus Garvey ou Williams du Bois ?
Ah ! Il y a eu ceux qui, il y a des siècles, étaient en communication avec les Africains. Après avoir parcouru le monde, ils ont pu affirmer : tout change. Tout change, tout évolue, etc. Avec le temps, tout se modifie en ce qui concerne les modalités. La lutte telle qu’elle devait être menée, par exemple, au XVIIIe siècle n’est pas la même que celle du XIXe siècle. À l’époque de N’Krumah, comme vous le mentionnez, ce n’est pas la même chose que ce qui se passait à l’époque du prétendu esclave Bouckman, ni ce qui se passait à Chicago du temps d’Alexander ou d’Henry Turner en 1893. Ce n’est pas non plus la même chose que les problèmes rencontrés à Atlanta et en Géorgie en 1895, ni ceux rencontrés à Londres en 1900, ou encore en 1916. Les problèmes soulevés lors de la réunion des écrivains africains en 1936 sont également différents. Même lors de la grande réunion des panafricains à Manchester en 1945, les modalités avaient changé à ce moment-là. Cela témoigne du fait que les modalités ne sont pas les mêmes.
Je pense qu’il est important de souligner que depuis le 26 février 1885, c’est-à-dire après la conférence de Berlin, où il a été décidé de se partager l’Afrique en attribuant des portions à la France, à l’Allemagne, à l’Angleterre, etc., tout a toujours changé. Ainsi, ce qui s’est passé avec Kwamé N’Krumah, qui était à la rencontre de Manchester et a reçu une délégation de la Gold Coast, n’est pas comparable à ce qui se passe actuellement. Cependant, le problème cardinal, le problème central demeure le même : il faut sauver l’Afrique, il faut sauver l’Afrique. La solution réside dans la nécessité de rester ensemble, car la micro-souveraineté nous détruit. La micro-souveraineté détruit l’Afrique et ne nous permet pas d’avancer.
En avril 2015 vous organiserez le colloque biennal du panafricanisme. Quelle est la thématique retenue pour cette édition et quelle orientation donnerez-vous aux travaux de cette rencontre scientifique ?
Merci, merci, merci d’anticiper cet événement. Il se tient tous les deux ans en avril, en commémoration de la mort de Kwamé Nkrumah, survenue le 27 avril 1972. C’est à cette période que nous réunissons les membres du Conseil mondial du panafricanisme. Nous faisons tout pour rendre hommage à Kwamé Nkrumah et à tous ceux qui, comme lui, se sont dévoués pour nous, en nous offrant un modèle d’exemplarité. Parmi eux, nous pouvons citer des figures emblématiques comme Lumumba ou Nyerere.
Le sujet que nous souhaitons aborder n’a pas été choisi par le bureau exécutif, mais proposé par une agence nationale de COMOPA. Il s’agit de l’agriculture. Suite à cette proposition, nous avons demandé à toutes les agences de nous faire connaître leur point de vue et leurs réactions concernant ce sujet fondamental qu’est l’agriculture et tout ce qui l’entoure. Nous devons donc réfléchir à la problématique précise de l’agriculture. Nous comptons sur vous tous et sur vous toutes, car il ne s’agit pas seulement de vous, mais aussi des femmes, qui font preuve d’un dynamisme admirable. Voilà notre intention pour l’heure.
Professeur que dites-vous de ceux qui pensent que l’Afrique est la véritable première puissance mondiale ?
L’Afrique l’a été, l’Afrique l’est et l’Afrique le sera. L’Afrique l’a été : vous voyez tout ce qui pouvait se passer, non seulement en Égypte, mais aussi au royaume de Kouch, au sud de l’Égypte, il y a cinq millénaires avant l’ère chrétienne, comme l’abbé Henri Baptiste Grégoire peut nous le faire savoir. Ce royaume de Kouch, entièrement mélanoderme, montrait toute sa force. Lorsque le roi mourait, c’était à un panel de femmes qu’on confiait le soin d’identifier le successeur. Ce qui était fait par les femmes n’était nullement critiqué. Celui qui était choisi, se rendant à Napata, devait dire : au nom du dieu unique Amon, je promets, je promets… je promets. Ainsi, les promesses, sous la supervision du dieu unique, témoignent déjà, des millénaires avant l’ère chrétienne, de la puissance de l’Afrique.
De nos jours, l’accent est mis sur tout ce qui concerne les ressources naturelles. L’Afrique, en tant que puissance, possède une superficie de trente millions trois cent mille km². Avec cela, nous avons entre 20 et 35 % du potentiel hydroélectrique mondial, qui appartient à l’Afrique. Nous disposons de 45 % de la bauxite mondiale, de 50 % de l’uranium, de l’or, du cobalt et du thorium. Nous avons également 55 % du manganèse mondial et 86 % des ressources nécessaires à la fabrication des téléphones portables. En effet, 86 % du platine provient de l’Afrique, tout comme 90 % du chrome mondial. Il est important de souligner que 96 % des diamants du monde sont également extraits en Afrique. Cependant, il n’y a pas que cela.
L’Afrique a démontré, et ce par la médiation de ceux qu’on a osé appeler esclaves, qu’elle a produit des inventions qui ont pu servir au monde entier. La lumière électrique, le sucre cristallisé, le téléphone, le réfrigérateur, et bien d’autres choses en témoignent. Des centaines d’inventions ont vu le jour, surtout au XIXe siècle. Par exemple, grâce à l’esclave Rillieux, nous avons pu obtenir le sucre cristallisé en 1846, grâce à la cristallisation du jus de canne à sucre. Auparavant, on utilisait le jus de divers fruits pour sucrer les aliments.
En 1865, Miles a contribué à l’invention de l’ascenseur, une réalisation également attribuée à un prétendu esclave. En 1881, Latimer a été un pionnier dans le domaine de la lumière électrique. En 1882, Granville Woods a initié des inventions reconnues par les États-Unis, notamment la possibilité de communiquer à distance grâce à un système innovant. Les États-Unis lui ont attribué près d’une vingtaine d’inventions.
En 1887, John a également apporté sa contribution en inventant le réfrigérateur. Il est encourageant de constater que les jeunes d’aujourd’hui, en prenant conscience de l’histoire de l’Afrique et de son potentiel, se tournent vers l’avenir avec optimisme. Ils sont conscients des contributions passées et de ce que d’aucuns ont fait de l’Afrique, ainsi que des intentions de certains pour l’avenir du continent. Ces jeunes, bien informés, ne peuvent qu’aller dans le sens de ce que Pline écrivait déjà il y a des siècles : « Ex Africa semper aliquid novi », c’est-à-dire que de l’Afrique jaillit toujours quelque chose de nouveau pour le monde entier.
Ce qui est ravissant, c’est le mot « semper », qui signifie « toujours ». Cela évoque l’Afrique : « Ex Africa aliquid novi », c’est-à-dire que quelque chose de nouveau va émerger pour le monde entier. Bravo pour cette prévision de Pline ! Nous ne pouvons pas ignorer cette perspective. Nous devons motiver les jeunes afin qu’ils s’engagent dans cette voie. Quoiqu’il advienne, leur quête de panafricanisme est un signe certain que l’Afrique saura réussir.
L’Afrique constitue une puissance majeure, grâce non seulement à ses ressources naturelles, mais aussi à la richesse de ses ressources humaines. Certains ont longtemps minimisé la valeur de ces dernières, mais l’histoire a démontré au XIXe siècle leur importance, notamment à travers le destin tragique des esclaves, qui étaient alors ravalés à presque rien. Bravo, bravo, bravo ! « Ex Africa semper aliquid novi ».
Votre mot de fin Professeur
On ne répétera jamais assez ce qu’il convient de faire en matière de panafricanisme. Il est essentiel de dire aux gens, en particulier à la jeunesse, comment avancer dans ce sens. Nos responsables politiques manquent encore d’une réelle conscience de ce que représente le panafricanisme. Chacun cherche à se développer individuellement, ce qui conduit à un échec regrettable.
Bravo à vous, l’initiateur de cette interview, pour votre engagement. Voici notre réponse à vos différentes questions : il est crucial de toujours aller de l’avant. Nous devons viser toujours plus haut dans le travail accompli au nom de l’Afrique. Nous ne pouvons que dire : « Duc in Altum ! » Allez toujours plus haut, allez toujours de l’avant !
Salle de Presse – Repères Impacts