Aube nouvelle, hymne national du Bénin ! Les écureuils, Équipe nationale de Football ! Programmes nationaux de vaccination ! National, e, aux adjectifs. Tous ces adjectifs renvoient au mot Nation qui, dans sa double perception, juridique et sociologique, ne traduit pas toujours une même réalité. Dans sa conception juridique, il ne dégage pas une grande problématique notamment en absence de crises d’une grande amplitude. En revanche, comme concept de sociologie politique, il suscite de grandes interrogations. C’est dans cette perspective que se pose la lancinante équation : la Nation Béninoise existe-t-elle vraiment ? Autrement dit est-ce un mythe ou une réalité ? Le thème de ce sujet d’enquête pose aussi une question qui n’est pas propre au seul Bénin. Par ailleurs, un mot dans le thème gêne (ou peut prêter à débats/polémique) ; il s’agit du mot « vraiment ». Dès lors qu’il doit être véritablement pris en compte, quelle lecture peut-on faire de la nation béninoise ?
La nation Béninoise, une réalité
Sans entrer dans l’histoire des états du monde, c’est essentiellement depuis la création de la Société des Nations, devenue par la suite l’Organisation des Nations Unies que les notions d’états et de nations ont été affinées. Ainsi les états sont des entités juridiquement définies par une constitution. Un état pour être viable dans le monde moderne actuel doit être reconnu par ses pairs au sein de l’Organisation des Nations Unies. La Nation d’un autre côté est constituée de diverses communautés au sein des frontières géographiques d’un État. Ceci est valable pour la République du Dahomey (le nom a été changé en 1975 en République Populaire du Bénin puis en République du Bénin en 1990), dont les frontières sont issues de la colonisation française. Cette dernière a pris fin avec la déclaration d’indépendance d’août 1960. Ainsi les diverses communautés (Fon, Goun, Adja, Mina, Ditamari, Somba, Yoruba, Bariba, Peulhs, Dendi, et plusieurs autres) au sein de ces frontières issues de la colonisation forment la Nation béninoise.
Il est clair que toutes ces communautés bien qu’ayant des similitudes culturelles et linguistiques ont aussi de grandes divergences. Et ce sont ces divergences qui pourraient inciter certains, à ne pas se sentir béninois(e) et vouloir se cantonner à ne connaître et reconnaître que leur communauté ethnique d’origine. Jacques TEVOEDJRE, économiste béninois clarifie tout de suite et trouve qu’aller à cette analyse constitue : « une grosse erreur dans le monde d’aujourd’hui où l’on se rend compte qu’il n’y a que les grands ensembles qui survivent ». D’ailleurs, il offre des éléments d’appréciation qui tiennent : « le mot « vraiment » dans l’intitulé tend à accréditer la thèse que tous les béninois ne se sentiraient pas béninois. La promotion d’une telle pensée équivaut à détruire la Nation béninoise et par contrecoup l’Etat du Bénin. Ceux qui développent de telles idées et de tels arguments peuvent croire qu’ils survivront mieux sans l’État dans lequel baigne la Nation, ce qui dans le monde d’aujourd’hui est une aberration ». Pour mieux contextualiser la préoccupation, le professeur Benjamin Nagandé Codjia va recourir aux notions de base de ce qu’est une nation. « Dans sa traduction juridique ou courante la Nation désigne une « personne juridique formée par l’ensemble des individus régis par une même constitution, distincte de ceux-ci et titulaire de la souveraineté. La constitution du 11 décembre 1990 traduit cette réalité nationale. Réalité nationale ? Ceci s’entend de ce qui appartient à la Nation ou qui en est issu tout comme l’Aube nouvelle, hymne national du Bénin ou encore qui intéresse l’ensemble du pays : Equipe nationale de football (contr. local, régional) ; Centre National Hospitalier et Universitaire, CNHU… etc » Pour Anselme AMOUSSOU, « le Bénin dispose des atouts, éléments constitutifs qui facilitent l’existence d’une nation béninoise digne du nom avec des citoyens fortement convaincus de leur liens et qui sont prêts à faire les efforts nécessaires pour améliorer leur vivre ensemble. L’un des atouts majeurs qu’il est important de relever est le large brassage ethnique entre les différentes régions du pays ». Il le cite comme un atout car il facilite les échanges entre les communautés et par conséquent la vie en commun et la socialisation et l’amenuisement des risques de conflits importants. Cependant, Il est illusoire de proclamer que le Bénin est une Nation.
La nation béninoise, un mythe
Larousse nous renseigne sur l’origine latine du mot : natio, de natus, né en 1120 il signifie « race ». En 1270 il est défini prosaïquement comme une « grande communauté humaine, installée en général sur un même territoire ou dans des territoires dépendants et qui se caractérise par des traditions historiques et culturelles communes, par des intérêts économiques convergents et par une unité linguistique ou religieuse ». Renan lui donne une connotation plus poétique : « une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation ». Une nation est donc un état d’esprit qui fait d’osmose entre ses membres : le vouloir vivre en commun. Elle se distingue de l’Etat : « une forme d’organisation institutionnelle », et du peuple – « ensemble des individus appartenant à une même communauté, par ses bases historiques et culturelles, mais dans l’usage, les mots sont souvent équivalents. Sous ce rapport on peut apprécier qu’il existe certes une grande communauté humaine désignée sous le vocable Béninois dans cet espace légué par la colonisation avec des frontières qui la séparent des pays environnants. Mais les traditions historiques et culturelles sont-elles communes ? Le professeur Honorat AGUESSY va nous replonger dans une nouvelle dimension, celle qui permet de remarquer qu’ « au vrai il y a une diversité culturelle et le mythe – d’origine n’y est sans doute pas identique. Les préhistoriens nous renseignent – davantage sur les formations économiques et sociales. Une réalité incontestable révélée par la période précoloniale : certaines communautés avaient atteint le stade d’État : les royaumes Houeda, Danxomè, Nikki, Porto-Novo, Kétou, Allada, Djougou, Kouandé. D’autres n’avaient pas cette « forme d’organisation institutionnelle ». Mieux, le magistrat Jacob FIDEGNON va préférer qu’on puisse parler de nationalité pour ne pas utiliser le terme d’ethnie au risque de faire resurgir le débat sur « l’Ecoeurement de l’Ethnie » (V. André Marcel d’ANS). Il a sans doute raison puisque même si la reconnaissance légale du pays est une réalité, Guy Constant EHOUMI va rappeler qu’au niveau du régime démocratique que nous proclamons, « il y a des choses à revoir. Les dernières élections législatives ont montré que des Béninois peuvent se battre jusqu’à utiliser le fusil pour s’entretuer ». Pour Anselme AMOUSSOU, l’histoire politique et sociale du Bénin foisonne d’exemples de comportements de contre modèles développés par nos élites à tous les niveaux. L’ethnisation des partis politiques, l’usage de la xénophobie et de l’exclusion pour régler des dissensions politiques sont des choses courantes sous nos cieux. Le déséquilibre de développement entre les régions de notre pays n’est pas de nature à fortifier la nation Bénin. Car cela crée un sentiment d’exclusion et conduit les communautés défavorisées à se replier sur elles-mêmes et à s’isoler du grand ensemble Etat. La région septentrionale du Bénin est parfois dans cette situation.
Quels sont ces intérêts économiques convergents ? Ce sont des sociétés pré industrielles à économie extravertie dominée par l’import-export. Un développement endogène provoquerait le sursaut national tant souhaité car entraînerait une cohésion sociale. Mais le facteur économique n’est déterminant qu4en dernière instance.
La nation se caractérisait par l’unité linguistique ou religieuse. La langue et la religion ont servi de socle à la colonisation greco-romaine. Le christianisme a la Bible, le judaïsme la Thora et le monde musulman a son coran. Au Bénin, le vodoun et autres religions traditionnelles devraient constituer un élément fédérateur mais ils sont en concurrence avec les religions importées. L’unité linguistique y est totalement absente et du fait de la colonisation qui sut imposer sa langue on doit conclure à une culture hybride.
Au total on n’a donc pas encore la « forme globale de société » dont parle Maurice Duverger. La nation béninoise dont se targuent les discours politiques est pour le moment un mythe. L’on se souvient des soubresauts, provoqués par la chute du président Hubert Maga en 1963 et ceux orchestrés par l’organisation d’élections départementales sous l’égide du Directoire Militaire avec comme suite l’instauration d’un Conseil Présidentiel de trois membres (Hubert Maga, Justin Tometi Ahomadégbé et Sourou Migan Apithy). C’est dire que l’histoire politique et sociale du Bénin foisonne d’exemples de comportements de contre modèles développés par nos élites à tous les niveaux. L’ethnisation des partis politiques, l’usage de la xénophobie et de l’exclusion pour régler des dissensions politiques sont des choses courantes sous nos cieux. Le déséquilibre de développement entre les régions de notre pays n’est pas de nature à fortifier la nation Bénin. Anselme AMOUSSOU justifie que « cela crée un sentiment d’exclusion et conduit les communautés défavorisées à se replier sur elles-mêmes et à s’isoler du grand ensemble Etat. La région septentrionale du Bénin est parfois dans cette situation ». Le Dr Sègnonna Horace Adjolohoun rappelle qu’ «aujourd’hui encore subsiste dans l’esprit de nombre de concitoyens que l’Etat est au service des autorités pour écraser les faibles citoyens ». L’économiste bénino-russe Alexandre HOUSSOU va renchérir pour montrer que « ce sentiment n’est pas compatible avec le renforcement du sentiment d’appartenance à une nation commune. Ce qui existe aujourd’hui comme notion de nation dans notre pays reste toujours fragile ».
Regard sur l’avenir
On ne saurait conclure cet article sans susciter une réflexion sur les causes qui ont freiné la marche vers la nation. Au lendemain des indépendances africaines, il y eut choc de deux théories. La logique de l’Etat-Nation qui considère que l’Etat en Afrique précède la nation et sa vocation est de promouvoir celle-ci. À cette théorie dominante s’oppose le thème de la logique des peuples (Yves Person).
Selon Yves Person « les hommes sont organisés en communautés culturelles, qui se perpétuent dans le temps par le transfert de systèmes symboliques. Mais qui sont évidemment susceptibles d’être détruites. C’est là le lieu qui permet aux personnes d’acquérir l’identité collective nécessaire à tout être humain. Ces communautés sont d’abord les lieux de reproduction de formations culturelles. Ce sont ensuite des champs d’action autonomes de la vie sociale et notamment, s’il y a lieu, de la lutte des classes ». Une des conséquences de la logique de l’Etat-nation fut l’instauration des partis uniques, sans résultats probants. Comme l’assure le professeur Emile-Désiré Ologoudou, on n’évoque pas les « origines » [ethniques, régionales] rien que pour régler des questions d’identité.
L’ethnie, la région en effet, ont été manipulées à des fins politiciennes et individualistes, « mieux neutraliser les autres dans leur quête d’identité pour mieux apprécier la suprématie d’une région donnée sur une autre ». A ce jeu les élites africaines et béninoises ont failli. Mais le peuple qui « ne tombe jamais en faillite totale » selon le mot de Werewere Liking dans « Elle sera de jaspe et de corail » saura relever le défi de la nation béninoise, par ses énergies et ses ressources cachées.
Enquête conduite par Hugues Hector ZOGO