- Quelle est la définition d’un citoyen selon vous ?
On ne saurait définir le citoyen sans se référer à la cité comme un territoire pertinent d’appartenance social et sans recourir à la citoyenneté responsable entendue l’ensemble des valeurs, des règles, des patrimoines matériels et immatériels qui fondent l’histoire, la culture, le vivre-ensemble et le sens de la vie d’un peuple établi dans un bassin de vie, quelle que soit sa taille géographique. La responsabilité de chaque citoyen est d’obéir au pacte de concorde de la cité qui comprend des permissions, des restrictions et des interdictions visant à assurer la régulation sociale afin que la liberté et les intérêts de chacun et de tous soient garantis pour l’épanouissement de la cité. N’est citoyen que l’Etre humain épanoui et responsable avec un pouvoir de choisir librement, sans chantage, sans clientélisme et sans corruption les dirigeants de son pays, et de participer directement par le contrôle citoyen et indirectement par le contrôle parlementaire à la gouvernance publique moyennant sa participation à la mobilisation des ressources, à la maintenance des ouvrages publics et à une digne représentation de son pays partout ailleurs.
- Quels sont les droits et les devoirs d’un citoyen dans une société démocratique ?
Il n’y a de société démocratique nulle part où la veille citoyenne est étouffée, l’individu en âge de voter n’est pas libre de choisir celui qui répond à ses exigences éthiques pour le gouverner, le messianisme s’impose comme une idéologie politique, le pouvoir d’Etat se clanise et s’autorise à exclure toutes les voix discordantes ou dissidentes et enfin, les citoyens se retrouvent en prison avec une facilité déconcertante pour leurs opinions politiques et légitimes de dénonciation des travers d’un régime autoritaire.
Dans une vraie société démocratique, le sacrifice proportionnel est une exigence, tous les salaires politiques sont connus du peuple et c’est un devoir que les décrets sur les grilles des salaires d’un chef de l’Etat, des ministres, des présidents d’institutions, du haut commandement militaire ainsi que de tous leurs cabinets qui les accompagnent soient publiés dans le journal officiel et le site officiel du gouvernement. Cette transparence fait la crédibilité de tout régime politique et détermine si les bénéficiaires de ces privilèges sont au service du peuple ou de leurs propres intérêts par affairisme d’Etat.
Lorsque le citoyen a le sentiment que ses dirigeants vivent chichement sur son dos alors que ce sont les citoyens qui leur assurent encore l’accès à l’eau, à l’électricité, à la téléphonie, à l’internet, à la santé notamment leur évacuation sanitaire, à leur protection rapprochée au quotidien et à une bonne scolarité pour leurs enfants gavés de sous en poches pour pavaner…, beaucoup de citoyens finissent par se radicaliser du fait que dans leurs villages et quartiers de ville, ils n’ont pas ou très peu droit à l’accès à tous ces services publics de base. Sans démocratie, le citoyen n’existe pas et il faut le répéter encore, la démocratie n’est pas que politique et c’est là la plus grosse erreur des juristes africains qui ont cousu cette toge pour la porter à la démocratie, ce qui entretient des confusions dans les esprits. C’est la démocratie qui forge la conscience citoyenne parce que le citoyen n’est pas exclu de sa participation à la gestion des affaires de la cité.
Il s’ensuit que la démocratie n’est pas un système politique mais un système de gouvernance publique et privée dont dépend le développement d’un pays. Sans la démocratie, le pays vit sans une stratégie nationale fiable et viable d’appropriation du développement durable, et à chaque changement de régime, les politiciens noircissent tout l’héritage commun, ils cachent les sales dossiers maquillés par des audits corrompus et recommencent la même aventure de retour à la case de départ. On casse tout, on humilie les régimes passés et on met en place une communication de manipulation pour falsifier l’histoire administrative, culturelle, politique, économique, sociale du pays et les mêmes personnes qui ont été aux affaires avec les mêmes comportements irresponsables et hideux changent leurs vestes pour devenir des hommes nouveaux sans crasses. La démocratie par la transparence de la gouvernance combat l’impunité des chefs alors que la dictature avec son système d’opacité de couvent protège les grands délinquants pour s’attaquer aux petits voleurs de cabris et de moteurs qu’on oublie dans les prisons pendant près d’une décennie sans aucune décision de justice. Il est urgent d’instaurer un système de gestion informatisé avec des alertes automatisées sur les dossiers pendant devant les juridictions et faire de même dans toutes les prisons car la justice est rendue au nom du peuple de même que l’emprisonnement.
- Est-ce que tous les individus qui vivent dans un pays sont automatiquement considérés comme des citoyens ?
La patrie ou la terre des Ancêtres se réfère à l’aire culturelle alors que la citoyenneté découle d’un découpage politico-administratif issu de la colonisation avec un redécoupage en fonction des choix politiques contemporains. L’homme ou la femme naît habitant d’un pays et devient citoyen, sujet de droit par l’éducation à la citoyenneté.
L’habitat fait l’habitant et l’habitude par la biographie (lien de mariage) et le socioculturel (mode de vie ancrée dans les us et coutumes) ainsi que la soumission de l’habitant aux normes traditionnelles avec le choix des dirigeants qui est aux mains des Ancêtres agissant par la consultation de l’oracle. Ici l’habitant ne choisit pas ses dirigeants, ces derniers sont l’émanation des entités spirituelles qui gouvernent la terre des Ancêtres. Les dirigeants sont liés aux Ancêtres par un pacte de fidélité alors que les dirigeants dans la cité sont liés aux citoyens par un serment de loyauté à l’ensemble des citoyens sujets de droit et au moyen d’élections populaires.
La cité produit le citoyen par une civilisation canalisée par les droits humains, des obligations légales avec un pouvoir d’interpellation chaque fois que le sujet de droit est insatisfait d’une offre de service public. C’est pour le droit de choisir librement ses dirigeants sur la base de la morale et de l’éthique, un privilège du citoyen pour contrôler et sanctionner les dirigeants, que sont bulletin de vote doit ne doit subir aucun trafic d’influence par la corruption active ou passive (clanisme, régionalisme, ethnicité).
L’ensemble des citoyens constitue la citoyenneté. La citoyenneté ne se limite pas à la jouissance de pièces d’état civil d’un pays mais elle s’attache à la manière dont chacun manifeste son amour pour son pays et témoigne la fierté de son africanité sans le moindre complexe, ni d’infériorité ni de supériorité. C’est là le lien entre le patriotisme (amour pour la patrie ou la terre des Ancêtres) et le panafricanisme (amour pour l’Afrique et tous les peuples du monde qui revendiquent leur africanité historique).
La citoyenneté est le premier déterminant de la politique et de toute politique publique. Elle est le moteur de l’autodétermination des territoires et des peuples qui les habitent. Elle constitue les digues du vivre-ensemble, elle est une exigence fondamentale de la culture de la solidarité nationale et panafricaine mais passant d’abord par la morale (distinction entre le bien et le mal, ensuite l’éthique (capacité à freiner la tentation de tout abus du bien et du mal), enfin la loi qui est la foi dans le devoir de solidarité envers les faibles, à l’égard des Ancêtres sans lesquels nous n’existerons pas et la dette envers les générations futures sans lesquelles, nous aurons vécu au mépris de leurs intérêts. En somme, l’éducation à la citoyenneté est une éducation à reconnaître les intérêts des vivants d’aujourd’hui et ceux de demain pour ne pas leur léguer le fardeau de nos inconsciences collectives cumulées.
- Quel rôle joue l’éducation dans la formation du citoyen ?
A tort, l’éducation à la citoyenneté est souvent considérée comme une éducation qui s’adresse aux pauvres et aux écoliers. Trop souvent, on oublie qu’elle est une exigence morale et éthique de construction de la personnalité et de la dignité humaine d’abord pour les dirigeants d’un pays, ceux-ci devant apporter la preuve tangible qu’ils ne sont pas élus ou nommés par défaut. Autrement dit, ce n’est pas la loi qui éduque un peuple, c’est principalement l’exemple et le contre-exemple des dirigeants à divers niveaux de responsabilité à travers leurs façons de faire, leurs façons de dire et leurs façons d’être. En somme, les regards, les paroles et les actes déterminent ce que valent les élites d’un pays.
Ceci dit, nous sommes venus à la géographie non pas pour qu’on nous appelle géographe, mais pour que nous apprenions à avoir nos pieds sur terre dans une cité et pouvoir nous investir dans l’éducation à la citoyenneté qui reste le plus grand défi de l’humanité, en particulier de l’Africain d’aujourd’hui et de demain. De quel citoyen rêvons-nous dans les cinquante prochaines années ? Voilà une vraie et fondamentale question de l’avenir et du devenir de l’homme noir. Quand on parcourt les projets de société des Africains ou qu’on observe la manière dont les Etats africains sont gouvernés, cette question demeure sans réponse parce que l’Afrique est peuplée d’élites qui ne vivent que pour le présent et les traces physiques de leur existence.
Dans les partis politiques, les universités, les entreprises, les organisations de la société civile… personne n’a appris à projeter sa société humaine en dehors de sa propre personne. C’est cette vacuité de vision prospective à long terme qui nous empêche de modéliser le citoyen d’aujourd’hui et de demain. Les politiciens et les gouvernants résument l’animation de la vie politique à la prolifération des lois et de leurs stratégies de contournement en fuyant que leurs prescriptions ne s’appliquent à eux-mêmes. Il convient également de souligner que l’Etat et les partis politiques n’ont pas le monopole de l’éducation à la citoyenneté. C’est un domaine de compétence qui est partagé avec les acteurs non étatiques.
La crise de l’exemplarité des chefs est la caractéristique essentielle des Etats voyous ce qui signifie que certains dirigeants africains sont plus voyous que le reste de la population. Mais du fait de leurs positions dominantes, ils ont du plaisir à imposer leurs volontés en faisant croire que c’est la loi qui en dispose ainsi. L’autorité qui est acquise en s’appuyant sur les Forces de défense et de sécurité ainsi que sur le système judiciaire pour organiser l’arbitraire, l’exclusion et la répression est une autorité éphémère en attendant que le peuple atteigne un seuil élevé de l’éveil des consciences pour que les abus de fonction ne soient plus tolérés. L’autorité qui n’est pas légitime et se contente de se réfugier derrière les institutions de répression est celle qui empêche les armes de se taire en Afrique car aucun peuple ne vit que du pain, il a aussi des droits immatériels dont la liberté est fondamentale pour son épanouissement.
Il s’ensuit que le rôle des partis politiques n’est pas que de conquérir et d’exercer le pouvoir d’Etat mais de disposer d’une offre permanente et constamment enrichie d’éducation à la citoyenneté afin de produire des citoyens ; c’est là la responsabilité sociétale des partis politiques (RSPP) mais en Afrique, les partis politiques ont dévoyé cette fonction primordiale et cette noble mission de salut collectif pour se transformer en partis d’affaires pour la promotion personnelle et l’enrichissement illicite des politiciens et des membres de leurs clans. Du fait de cette immoralité ambiante devenue très pathologique, toutes les réformes des systèmes partisans en Afrique au sud du Sahara échouent car aucun indicateur n’est prescrit pour appréhender l’existence d’une école de partis, d’une offre éducative à la citoyenneté et la part du financement publique devant obligatoire être investie pour produire des citoyens dont rêve chaque pays. Même les audits des financements publics des partis politiques ne sont que la justification comptable sans la prise en compte comme objet de financement l’offre éducative en citoyenneté responsable qui est incontournable pour tout vrai développement, entendu le passage d’un état de moins-être à un état de mieux-être.
- Quelles sont les qualités essentielles d’un bon citoyen ?
Pour rappel de sagesse, 99,99% des êtres vivants découvrent la loi seulement à l’occasion d’une violation des interdits et des restrictions normatifs ayant entraîné une réaction punitive des forces de l’ordre ou lors d’un jugement de tribunal. Ceci pour dire que le meilleur citoyen est loin d’être celui qui a l’encyclopédie juridique en tête. Combien de députés maîtrisent les lois qu’ils votent eux-mêmes, peut-être moins de 1%. Combien de fois des cours constitutionnelles n’indexent pas les chefs d’Etat pour leurs méconnaissances de certaines lois de la République notamment les constitutions sur lesquelles ils ont eu pourtant à prêter serment.
Tous les corps de métier astreints à un rituel de prestation de serment sont normalement des corps d’élite des administrations civiles, paramilitaires et militaires où sévissent, tout particulièrement la corruption et autres tentations aux abus de fonction. Les exemples sont légion, hélas ! Est-ce une méconnaissance de la loi par ceux chargés d’appliquer celle-ci ? Sont-ils plus citoyens que les simples citoyens? C’est l’assèchement de l’éthique qui est le vrai problème de notre époque. Beaucoup utilisent trop facilement ce concept de ‘’ force doit rester à la loi ‘’parce que c’est une parole creuse désincarnée, et aucun régime n’a encore produit une pédagogie d’assimilation du minimum de valeurs qui éviterait à chaque citoyen d’être en porte à faux avec le système normatif de sa cité. Et en matière de loi, l’exemplarité des dirigeants est la seule façon de ne pas méconnaître la loi et de l’appliquer même comme monsieur Jourdain, un personnage créé par Molière et désigne quelqu’un pratiquant une activité sans même avoir connaissance de son existence. L’important pour un dirigeant c’est son attachement à l’éthique tant face à la bienfaisance qu’à la malfaisance.
Ce qui compte dans la relation entre le citoyen et la loi, c’est d’avoir la conscience de ce qui est bien et de ce qui est mauvais pour l’ordre social et soi-même. Nous sommes là sur le terrain de la morale. En plus, la chose la plus fondamentale dans vie humaine c’est plus l’éthique que la loi mais pourquoi? Un juge attaché à l’éthique pourra freiner l’élan manipulation et revanchard de tout malveillant et trafiquant d’influences. Le juge le peut au nom de son intégrité et de son serment. L’éthique est un système de freinage ou de limitation des pulsions de l’homme pour n’abuser de rien. Sans abus, c’est déjà servir la loi de la meilleure qui soit. D’où l’éthique est le contrôle de soi sur la base du respect de ce que la conscience collective permet, restreint et interdit. Lorsque l’application d’une loi n’épouse pas cette pédagogie de la mesure, elle devient une loi comparable à un feu rouge que chacun brûle sans la moindre gêne en commençant par les producteurs de la loi, les exécutants de loi puis tout le corps social, sujet de droit.
- Comment peut-on encourager la participation citoyenne au sein de la société ?
Dès lors que la participation citoyenne est un système d’endettement entre tous les citoyens, la participation devient le meilleur système d’inclusion sociale et de coproduction de la dignité humaine. Il n’y a de véritable respect de l’autre que ce qui les rapproche grâce au décloisonnement pour la coopération, la solidarité et la confiance mutuelle sans lesquelles on ne peut se reconnaître dans les décisions que prennent les dirigeants. Dans chaque secteur de la vie économique et sociale, dans chaque institution ou administration et à chaque niveau territorial, les dirigeants doivent créer, encourager et suivre la fonctionnalité des espaces de participation citoyenne car c’est elle qui évite la propagation et la dilatation des fausses information afin d’ancrer la culture politique et administrative dans un système de partage de l’information. Cela suppose une clarification typologique des informations confidentielles, des informations à accessibilité limitée et requérant une autorisation préalable et des informations à accès libre avec spécification des procédures d’évitement des tracasseries administratives. Il s’ensuit que la participation citoyenne comme une modalité d’une gouvernance démocratique doit s’opérer avec la généralisation des comités de gestion, des conseils de direction, des assemblées de personnels et des espaces de dialogue avec les usagers de services publics dans chaque entité.
Il y a des moments clés de la vie d’un pays, d’un secteur ou d’une entité qui requièrent la participation responsable, base de la citoyenneté responsable :
- Diagnostic participatif pour identifier les potentialités, les problèmes, les besoins et les demandes sociales prioritaires relevant des urgences, du moyen terme et du long terme ;
- Mise en place de plateformes de dialogues sectoriel et multisectoriel avec une représentativité équitable entre les acteurs étatiques et les acteurs non étatiques ;
- Etudes de faisabilité et tests de sensibilité afin que les citoyens concernés clarifient leurs attentes et disent à quelles conditions considèrent-ils que l’offre public est à efficacité impactante ou non ;
- Veille citoyenne pour la surveillance des réalisations surtout physiques car il s’agit de l’argent des contribuables donc des citoyens du pays et non des ressources personnelles des dirigeants ;
- Effort de participation citoyenne à la réalisation du bien commun pour assurer l’intérêt général. Il peut prendre diverses formes dont la fiscalité, les dons volontaristes locaux, les transferts de la diaspora, la mise en relation de l’Etat avec une source d’opportunité, l’apport bénévole de son expertise à une institution publique ou privée dans les domaines du renforcement du capital humain et du don de matériels dans les ordres d’enseignement, la santé publique, l’ingénierie environnementale, etc. ;
- Rencontres de redevabilité mutuelle qui oblige de rendre compte sur la base des engagements contractualisés entre les citoyens-mandants et leurs citoyens-mandataires pour évaluer si les objectifs sont atteints, l’argent bien utilisé et si la confiance mutuelle règne toujours pour poursuivre les efforts entrepris ;
- Compagnonnage qui est un devoir de tutorat des jeunes par les plus anciens qualifiés pour partager avec eux la richesse de leurs expériences et leur sagesse afin que les jeunes épousent de saines valeurs de vie pour ne pas compromettre l’avenir de la cité du fait d’une mauvaise relève.
- Enquête de satisfaction, les dirigeants ne doivent être satisfaits que sur la base de la satisfaction des citoyens. Il ne sert à rien de gaver l’opinion publique national et international de statistiques d’autosatisfaction pendant que les citoyens sont vulnérables à l’insuffisance d’offres de services publics dans de nombreux domaines. C’est le peuple insatisfait qui se rebelle ou se radicalise du fait de ses insatisfactions. Il faut surveiller l’insatisfaction comme du lait sur le feu car c’est le baromètre de la stabilité d’un pays et du vivre-ensemble.
- Quels sont les défis auxquels les citoyens africains doivent faire face pour éviter l’instabilité politique au niveau de leurs territoires ?
Si le citoyen perd son pouvoir d’interpellation de ses dirigeants, il perd corrélativement sa citoyenneté.
Le citoyen doit connaître et intégrer les symboles producteurs de sens de son pays, de sa communauté régionale et de son continent notamment les devises, les drapeaux et les hymnes de son pays et du continent pour y puiser les énergies galvanisantes de sa fierté, un facteur déterminant de sa dignité humaine. L’intérêt général et le bien commun prennent leurs assises dans la constitution d’un pays qui doit faire l’objet de fiches didactiques à diffuser dans tous les espaces de gouvernance publique et privée en recourant aux médias de proximité dans les différentes langues nationales y compris les réseaux sociaux. Les émissions interactives axées sur l’éducation à la citoyenneté avec des animateurs passionnants éveillent les consciences collectives.
La participation à la définition, à la mobilisation des ressources publiques et à la mise en œuvre des politiques publiques avec le droit d’exercer le contrôle citoyen dans chaque secteur social et chaque secteur productif est à encourager. Aucun secteur de la vie d’un pays ne doit échapper à la veille citoyenne quel que soit le régime politique en place. Certes que les régimes autocratiques de type néolibéral détestent tous les mécanismes démocratiques qui exigent la transparence de la gouvernance publique. La vraie dictature éclairée devrait être celle qui n’est pas hostile à la transparence mais ce n’est pas le cas puisqu’on assiste à la privation d’un droit fondamental légitime qu’est la transparence électorale, la transparence des statistiques de gouvernance, la transparence de la justice, l’étouffement des syndicats et des organisations de la société civile afin que tous les habitants observent un silence sous le coup de la contrainte de la peur d’être réprimé. Ce n’est pas la peur de la loi qui fait sa force mais la peur des abus de la loi qui érode l’autorité des personnes qui l’exercent dans la démesure sans un sens pédagogique.
- Est-ce qu’un citoyen peut choisir de ne pas exercer ses droits et ses devoirs ? Quelles conséquences cela peut-il avoir ?
Il n’existe pas de cité sans un système d’ordonnancement basé des règles, des normes, des valeurs et des procédures. Le citoyen peut renoncer à exercer son droit lorsque celui-ci relève d’une certaine indécence et ne correspondant pas à ses valeurs. La décence est le regard que tout citoyen porte sur sa société en tenant compte des limites à ne pas franchir. Si vous êtes membre d’un gouvernement d’un pays pauvre et votre salaire supplante celui d’un homologue du même rang dans un pays industrialisé, vous pouvez renoncer à ce droit au risque de paraître un cupide et un vaniteux, plus soucieux de l’intérêt personnel que de l’intérêt général. Lorsque la solidarité nationale est vécue par tous les citoyens comme un élan de compassion des riches et des classes moyennes à l’endroit des catégories sociales indigentes, tout citoyen responsable doit obligatoirement exercer ses droits et accomplir rigoureusement ses devoirs avec conscience et esprit de responsabilité. Le cœur d’apprentissage et de métier du citoyen, c’est incontestablement ses droits et devoirs. S’il n’est pas en face d’un abus de pouvoir avéré, son seul choix de vie pour mériter d’être citoyen ce sont ses droits et ses devoirs.
Ce faisant, il ne suffit pas d’être seulement citoyen par la légalité, il faut être surtout un citoyen responsable par la légitimité avec une redevabilité mutuelle entre les dirigeants et les citoyens ordinaires. D’où le contrôle citoyen est autant important et même plus puissant que le contrôle parlementaire, le contrôle administratif et financier, même le contrôle technique par la surveillance populaire des chantiers de l’Etat central, de l’Etat déconcentré et de l’Etat décentralisé. Le contrôle citoyen est le seul acte d’engagement patriotique qui tient lieu à la fois de droit et de devoir ; il ne saurait être une quelconque faveur d’une quiconque autorité généreuse. Le législateur doit prendre en compte ce pouvoir de veille citoyenne partout sur le territoire. Autrement dit, du président de la république au paysan en passant par l’écolier, chacun doit rendre des comptes à la cité à travers ce même droit et devoir.
Dans la citoyenneté responsable, aucun élu des citoyens au nom du peuple et aucune personne nommée ne peuvent se considérer comme des personnes plus puissantes que le peuple lui-même. Lorsque des cas avérés d’inversion s’observent, on parle alors d’abus de fonction et les citoyens peuvent s’organiser dans chaque secteur et chaque territoire pour s’opposer à toute forme de maltraitance contraire à la constitution du pays. Hélas que ce comportement indigne est la tendance prépondérante dans la plupart des États africains. Les dirigeants se croient tout permis et à chaque loi, ils fabriquent des stratégies de contournement pour pouvoir favoriser leurs clans et protéger leurs propres intérêts. L’exclusion d’un citoyen de la jouissance de ses responsabilités est une remise en cause de la responsabilité sociétale de l’Etat d’être le garant de la protection des droits civiques et politiques de chacun et de tous.
- Les nouvelles technologies ont-elles un impact sur la notion de citoyenneté ?
L’autodétermination d’un peuple est inconcevable sans la production et la consommation de technologies. C’est fort de cette évidence que tous les pays africains doivent se donner la main pour investir suffisamment dans la formation d’ingénieurs technologues dans différents domaines, notamment celui des machines-outils afin que le continent puisse s’industrialiser en vue de la transformation des matières premières de son atmosphère très ensoleillée, de son sol et de son sous-sol. Par la domestication des chaînes de valeur rendue ainsi possible grâce à ses progrès technologiques, l’Afrique conquerra sa dignité humaine et cessera d’être le continent le plus célèbre en mendicité d’Etat dans le monde. Pour y arriver, il va falloir démolir le socle du système universitaire inefficace actuel, le réformer totalement par une mise en capacité de production de vrais ingénieurs créateurs d’innovations et de richesses. La jeunesse ne pourra que s’en féliciter pour les opportunités que cette université rechemisée offrira désormais pour des opportunités d’employabilité susceptibles de rompre avec des décennies d’incurie d’un système éducatif désuet et carriériste.
Sans cette réforme des systèmes éducatifs nationaux par le haut, l’Afrique ne pourra pas amorcer sa révolution culturelle, technologique et industrielle. Aujourd’hui, grâce aux satellites, le monde est interconnecté et offre de pertinentes applications dans les domaines de la surveillance du territoire, de l’exploration des fonds marins, des prévisions météorologiques, des alertes cycloniques et sismiques, de la lutte antiacridienne, de l’évaluation du couvert forestier et de la faune, de l’estimation des productions agricoles et du cheptel, de l’occupation des sols, de recherche des indices de ressources minérales, etc. Les avancées satellitaires actuelles stimulent également le géoréférencement des investissements publics (écoles, centres de santé, points d’eau, équipements marchands, unités de production…) en fournissant des informations sur leurs localisations géographiques, la coopération technologique entre pays en développement (CTPD), l’interconnexion des établissements scolaires et universitaires pour l’amélioration des offres éducatives et le suivi à distance des performances des formateurs, etc. Autres progrès technologiques à souligner sont le paiement électronique et les factures normalisées qui ont amélioré significativement d’après les témoignages, la mobilisation des ressources publiques et la diminution des fraudes fiscales, l’accès au marché et la vente en ligne, l’effort de digitalisation de certaines formalités administratives dans les régies financières, les administrations foncières et les marchés publics afin de limiter les contacts physiques entre les agents de services publics et les usagers souvent contraints de verser des pots de vin avant d’être satisfaits.
L’accès aux connaissances est sans limite quel que soit le domaine. Avec la pandémie du Covid19, la planète entière a éprouvé le télétravail avec succès quand bien même le travail en présentiel améliore l’humanisation de l’homme et du monde. L’accélération du monde virtuel embarque tout le monde et un médecin depuis Marseille peut aider à une opération chirurgicale complexe à Natitingou au Bénin ou à Zinder au Niger. Des enseignements sont en ligne et des diplômes publics comme privés se préparent en ligne permettant des dépenses faramineuses pour études à l’étranger. Les rencontres internationales se font de plus en plus en conférences virtuelles même si elles affectent l’économie touristiques, elles ont l’avantage de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique du fait du nombre d’avions qui polluent l’atmosphère.
En dépit de ces avancées en Afrique et qui fortifient le concept de village planétaire, la fracture technologique reste encore très grand entre pays industrialisés, les nouvelles puissances émergentes et le continent noir, cette fracture est réelle entre les quartiers d’une même ville, entre villes et campagnes, entre les non instruits et les instruits avec le pouvoir d’achat qui reste un facteur d’exclusion en raison du coût de consommation de l’internet et d’une couverture insuffisante des réseaux téléphoniques et électriques. Beaucoup de jeunes utilisent les technologiques numériques pour un excès de divertissements dépravants et non productifs au moyen de pratiques arnaqueuses et de systèmes mimétiques qui érodent leur identité culturelle. La technologie sans la conscience citoyenne aboutit à des catastrophes humanitaires. Il s’ensuit qu’aucun développement de l’Afrique n’est possible sans l’éveil des consciences des Africains qui passe avant tout par une bonne éducation à la citoyenneté et par l’accès à la technologie comme facteur de modernité ancré dans le progrès social et culturel. Toute technologie doit être consommée avec modération et utilité fonctionnelle dans le respect de la durabilité des écosystèmes. La technologie surconsommée par snobisme ou gaspillage devient un facteur de réduction de sa propre liberté et celle des autres.
On n’a pas besoin de trainer deux ou trois smartphones, plusieurs véhicules haut de gamme dans un pays dominé par des voies en terre et où plus de 90% des paysans sont encore avec des pioches, houes et machettes dans leurs champs. L’Afrique s’endette inutilement avec des véhicules 4X4 de 50 à 60 millions de Fcfa l’unité que les ministres et les directeurs généraux utilisent comme leurs véhicules de courses urbaines alors que ce type de moyens roulants devrait être gardé dans les garages centraux et déconcentrés uniquement pour les missions de terrain. Il s’agit là d’un modèle de consommation irresponsable très coûteux pour le contribuable ne tenant pas compte du niveau de développement du pays.
L’éducation à la citoyenneté vise à produire des femmes et des hommes dignes et c’est leur dignité qui est leur valeur circulante dans le monde et le facteur d’attractivité de leur pays. La dignité d’un citoyen est déterminée par son éducation, son système de production, ses modèles de consommation et sa stratégie de gestion des déchets qu’il produit. L’écocitoyenneté trouve toute sa pertinence dans cette corrélation de durabilité environnementale que le citoyen ne peut vivre sans consommer des technologies mais il doit être éduqué à la façon de ne pas en abuser.
- Pour vous, qui doit être le citoyen de demain ?
La citoyenneté d’une personne se joue à divers paliers à savoir depuis la communauté de base (village et quartier) jusqu’au niveau mondial : citoyen d’une ville ou d’une collectivité locale, citoyen d’un Etat, citoyen d’une région, citoyen africain et citoyen du monde.
Qui détruit la citoyenneté anéantit le patriotisme politique, administratif et économique. Il produit une société de délinquants perturbateurs de la stabilité d’un pays et du vivre-ensemble. En cela, l’éducation à la citoyenneté responsable réduit sensiblement le taux de prévalence des actes délictueux et criminels avec pour impact direct le désengorgement des tribunaux et des prisons parce que l’éducation à la citoyenneté permet à chaque citoyen d’être sensible dans chaque domaine aux permissions, restrictions et interdictions. Quand il tombe en infraction, il assume et est convaincu qu’il n’est pas victime d’une injustice. De la même façon si les personnes civiles, paramilitaires et militaires sont aussi bien éduquées en citoyenneté, l’autorité de l’Etat sera mieux incarnée et personne n’acceptera les trafics d’influences qui minent la chaîne décisionnelle de l’Etat débouchant sur la multiplication des foyers de tension.
Le citoyen de demain, son format ne s’improvise pas, c’est une question hautement politique. Mais soyons très clair, un tel choix ne relève d’aucun projet de société d’un candidat à une élection présidentielle. Le citoyen de demain se créé sur la base d’un idéal-type avec la mise en place d’un processus culturel participatif qui s’inscrit dans le long terme d’où la nécessité qu’il y ait dans chaque pays un comité culturel pour le citoyen du futur. Dès lors, quelle est la raison d’être de la politique ? Les partis politiques sont comme des laboratoires, des ateliers de forge ou de poterie et des écoles de production d’une masse critique de citoyens responsables.
Le citoyen du futur est comme une semence à fort potentiel germinatif qu’on met dans une terre sans rongeurs et sans pathologies destructrices, qu’on arrose, désherbe, fume, traite, fait pousser qui finit par fleurir et fructifier avec une expansion de ses graines partout dans le pays pour former une masse critique de citoyens responsables et engagés. C’est exactement ce qu’on est en droit d’attendre des classes politiques africaines, malheureusement, elles n’ont jamais joué ce rôle de laboratoire d’expérimentation et de production de bons citoyens engagés pour des causes communes.
L’éducation à la citoyenneté est non seulement une offre commune de base dans tous les ordres d’enseignement et d’apprentissage, pour chaque enseignant ou formateur et quelle que soit sa matière, il doit commencer et finir son cours par un message d’éducation à la citoyenneté. Toute rencontre dans une administration publique doit commencer et finir également par un message d’éducation à la citoyenneté. Ce rappel est le premier outil d’assainissement du comportement à tous les niveaux et des mœurs de gouvernance.
L’éducation à la citoyenneté de demain commence aujourd’hui par une lutte méthodique pour stopper que la politique serve à polluer la cité afin que chacun soit convaincu que la vocation de la politique est de polir la cité pour le bien-être de toutes et de tous. Pour qu’il en soit ainsi certaines conditions doivent être réunies au niveau de chaque citoyen d’aujourd’hui :
- Allumer les cerveauxpour la coproduction de réflexion et l’action par la prospective pour ne pas sacrifier les générations futures ;
- Ouvrir son cœur à la compassion et nul n’a le droit d’être heureux tout seul ;
- Ouvrir les yeuxpour renforcer le sens d’observation ;
- Rendre sensibles les oreilles à l’écoute et au dialogue ;
- Faire ouvrir la bouche pour libérer la parole et accepter la critique en vue d’avancer car nul n’a le monopole de vérité immuable et de la certitude absolue ;
- Donner la main aux plus faibles pour leur élévation dans la dignité par le partage et la solidarité ;
- Marcher vers le progrès en transformant chaque peuple en société de compagnonnage avec des guides éclairés qui ont l’humilité en héritage et l’éthique en exigence comportementale.
Chaque pays africain a besoin d’un Programme national d’éducation à la citoyenneté et d’orientation politique (PNECOP) avec la création de la Bourse de l’Ecole des Partis (BEP), une sorte de bloc administratif et pédagogique intégré au service de tous les partis politiques qui ont une offre d’éducation à la citoyenneté. Seront contractualisés les radios de proximité pour la diffusion dans les langues nationales des contenus des fiches pédagogiques. C’est dire qu’aucune réforme du système partisan ne pourra réussir sans ce mécanisme de production du citoyen nouveau d’aujourd’hui et du futur. Sans dignité citoyenne, l’Etat est impuissant. Et le problème de la dignité humaine va bien au-delà des aspects matériels de l’existence humaine qui sont souvent à la base des phénomènes d’exclusion, de prolifération des ghettos en refusant aux pauvres la citoyenneté basée sur leur dignité alors que c’est eux qui payent plus d’impôts que les riches.
Cette injustice fait que les pauvres travaillent pour enrichir les riches d’où les riches s’organisent entre eux pour posséder et manipuler à leur profit la chaîne décisionnelle de l’Etat. Et c’est encore l’argent des pauvres qu’on utilise pour améliorer le cadre de vie des pauvres avant de les éloigner moyennant des dédommagements non proportionnels et insignifiants pour permettre aux riches de racheter encore tous les terrains des pauvres afin que nos capitales cachent leurs misères pour plaire aux touristes du monde. Ce qu’on oublie c’est que la concentration de la misère est une bombe à retardement et aucun citoyen responsable n’accepte indéfiniment l’exclusion des pauvres pour que les riches restent entre eux. Plusieurs pays occidentaux en savent quelque chose et en font déjà les frais.
Professeur Narcisse TOMETY
Entretien exclusif réalisé par Hugues Hector ZOGO