Des conflits anachroniques considérés comme dépassés s’enflamment, des nationalismes étriqués, exacerbés, pleins de ressentiments et agressifs réapparaissent. Dans plus d’un pays, une idée d’unité du peuple et de la nation, imprégnée de diverses idéologies, crée de nouvelles formes d’égoïsme et de perte du sens social sous le prétexte d’une prétendue défense des intérêts nationaux. Ceci nous rappelle que chaque génération doit faire siens les luttes et les acquis des générations passées et les conduire à des sommets plus hauts encore. C’est là le chemin. Le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes ; il faut les conquérir chaque jour. Il n’est pas possible de se contenter de ce qui a été réalisé dans le passé et de s’installer pour en jouir comme si cette condition nous conduisait à ignorer que beaucoup de nos frères subissent des situations d’injustice qui nous interpellent tous.
Plus que jamais nous nous trouvons seuls dans ce monde de masse qui fait prévaloir les intérêts individuels et affaiblit la dimension communautaire de l’existence. Si quelqu’un vous fait une proposition et vous dit d’ignorer l’histoire, de ne pas reconnaître l’expérience des aînés, de mépriser le passé et de regarder seulement vers l’avenir qu’il vous propose, n’est-ce pas une manière facile de vous piéger avec sa proposition afin que vous fassiez seulement ce qu’il vous dit ? Cette personne vous veut vides, déracinés, méfiants de tout, pour que vous ne fassiez confiance qu’à ses promesses et que vous vous soumettiez à ses projets. C’est ce que vit l’Afrique. Elle se meurt. Elle abandonne son histoire, son identité, elle avance sans mémoire. Comment pourra-t-elle s’affirmer ?
Soyons capables de réagir par un nouveau rêve de fraternité et d’amitié sociale qui ne se cantonne pas aux mots. Il est temps pour nous de construire un monde meilleur, un monde de frères, un monde de justice, d’amour, de paix, de fraternité, de solidarité. La jeunesse est l’âge pendant lequel s’épanouit la grande richesse affective présente dans les cœurs, le désir profond d’un amour vrai, beau et grand. Que de force il y a dans cette capacité d’aimer et d’être aimé !
Dans ce monde où il y a tant de concurrence, d’envie et tant d’agressivité, le vrai bonheur passe par le fait d’apprendre à être patient, à respecter les autres, à ne pas condamner et à ne juger personne. Celui qui s’énerve perd, dit le dicton. Il n’est pas question de livrer notre cœur à la colère, à la rancune. La recherche du bonheur est commune à toutes les personnes, de tout temps, et de tout âge. Dieu a déposé dans le cœur de chaque homme et de chaque femme un désir irrépressible de bonheur, de plénitude. Nous ferons ensemble ce cheminement. Sur cette bonne route, nous découvrirons le sens des valeurs. Le monde que l’humanité a construit, en particulier au cours des siècles qui sont les plus proches de nous, tend souvent à atténuer chez les gens le désir naturel de bonheur, en augmentant la « distraction » dans laquelle ils risquent de se perdre en raison de leur faiblesse intrinsèque. La société actuelle privilégie un type de désir contrôlable selon des lois psychologiques et sociologiques et, donc, souvent utilisable à des fins de profit ou de manœuvre de l’opinion. Une pluralité de désirs a remplacé l’aspiration que Dieu a placée dans la personne comme un aiguillon, afin qu’elle ne cherche et ne trouve qu’en Lui seul l’accomplissement et la paix. Les désirs partiaux, orientés comme de puissants moyens en mesure d’influencer les consciences, deviennent des forces centrifuges qui poussent l’être humain toujours plus loin de lui-même, engendrent son insatisfaction et parfois même sa violence.
La personne doit cependant être soutenue par une éducation adaptée, qui tend, comme fin propre, à favoriser le réveil en elle de la conscience de son propre objectif, en suscitant dans son cœur les énergies nécessaires pour y parvenir. L’éducation ne s’adresse donc jamais à la masse, mais à chaque individu dans son caractère unique et irremplaçable. Cela présuppose un amour sincère pour la liberté de l’homme et un engagement inlassable en sa défense. Je plaide pour une redécouverte éclairée des grandes valeurs universelles – la vérité, la justice, le respect, la liberté, l’amour, la beauté – afin d’éviter que l’homme moderne, mû par la peur et la convoitise, ne signe sa propre fin. Les valeurs sont le terreau que l’humanité a semé pour assurer son progrès et sa survie. Pourtant dans les entreprises, les services publics, les associations et clubs, les partis politiques, les religions, des hommes oublient que c’est grâce à ces valeurs, qu’ils sont là aujourd’hui, à pouvoir dire j’existe et à prendre conscience qu’ils sont des êtres uniques.
Nous avons tous entendu sur notre lieu de travail, dans la rue, chez des amis, à travers les médias, revenir comme un souffle ininterrompu ces manquements à nos premiers devoirs – écoute, dialogue, ouverture d’esprit, exemplarité, respect, tolérance, loyauté, courage, honnêteté, franchise, sincérité, reconnaissances, impartialité, remise en cause, humilité – qui sont des attentes pour chacun d’entre-nous. Par-delà nos différences, il y des besoins nécessaires à l’enrichissement de l’esprit humain : ce sont les valeurs. Ces valeurs traversent le temps, l’espace, les organisations, les changements, sans se désagréger. Ces valeurs font parties de grands principes qui sont à la base de notre existence, de notre motivation et notre investissement dans la vie. Je forme le vœu qu’en cette époque que nous traversons, en reconnaissant la dignité de chaque personne humaine, nous puissions tous ensemble faire renaître un désir universel d’humanité. Tous ensemble. Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères.
J’invite à l’espérance qui nous parle d’une réalité qui est enracinée au plus profond de l’être humain, indépendamment des circonstances concrètes et des conditionnements historiques dans lesquels il vit. Elle nous parle d’une soif, d’une aspiration, d’un désir de plénitude, de vie réussie, d’une volonté de toucher ce qui est grand, ce qui remplit le cœur et élève l’esprit vers les grandes choses, comme la vérité, la bonté et la beauté, la justice et l’amour. L’espérance est audace, elle sait regarder au-delà du confort personnel, des petites sécurités et des compensations qui rétrécissent l’horizon, pour s’ouvrir à de grands idéaux qui rendent la vie plus belle et plus digne.
Hugues Hector ZOGO